Littérature écranique

Si Gérard Genette dans Nouveau Discours du récit affirmait d’abord que le style d’un écrivain ne pouvait se comparer à celui d’une caméra puisqu’il n’en avait pas, il se reprenait cependant et ajoutait en note : « Il est vrai qu’il peut aujourd’hui, “effet rebound” d’un médium sur l’autre, feindre d’en avoir une. » [1]

Ainsi, dans de nombreux textes contemporains, l’écriture romanesque se mêle à l’écriture filmique – par l’intermédiaire d’allusions, de citations, ou d’emprunts formels plus nettement revendiqués – certains passages transformant même le lecteur en spectateur tandis que les personnages semblent parfois presque être les acteurs d’un film. Ce genre hybride, entre littérature et film (de cinéma ou de télévision), est ainsi le reflet d’une écriture privilégiant l’échange, l’interaction entre les arts et leurs différents supports médiatiques. Une intermédialité qu’André Gaudreault, propose de définir dans son ouvrage intitulé Du littéraire au filmique :

« L’intermédialité est […] ce concept qui permet de désigner le procès de transfèrement et de migration, entre les médias, de formes et de contenus, un procès qui est à l’œuvre de façon subreptice depuis déjà quelque temps mais qui, à la suite de la prolifération relativement récente des médias, est devenu aujourd’hui une norme à laquelle toute proposition médiatisée est susceptible de devoir une partie de sa configuration. » (175)

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« Des scénarios fictifs au scénario de fiction : Paradise News de David Lodge »

Après que l’écrivain David Lodge ait contribué en tant que scénariste à certaines adaptations filmiques de ses propres romans (Small World en 1988, Nice Work en 1989) ou encore à celle de Martin Chuzzlewit de Dickens (en 1994) pour la télévision britannique, c’est son roman Paradise News (1991), qui faillit faire l’objet d’une adaptation française au cinéma. En janvier 2005, en effet, l’écrivain se vit proposer ce projet par la scénariste Olga Vincent dont le précédent film était, par ailleurs, déjà une adaptation littéraire (Vipère au poing, d’après le roman d’Hervé Bazin).

David Lodge fut très vite séduit : “Of all the several approaches I have had from French film producers to option my books, Olga’s was easily the most professional, and she convinced me that she would do a sensitive, decent adaptation […] this novel […] is in many ways more like a story in a European film than in a Hollywood or even a British feature film, so I thought I would make the experiment[1].” Le genre même du roman se prêtait d’ailleurs mieux, selon lui, à une version européenne : “Both Paradise News and Therapy were too expensive for television because they involve a lot of exotic locations, they both involve travelling around the world […] but they don’t fit in any recognised cinematic genre […] That’s why I hope [Paradise News] might work as a French language film, because European films are less genre-oriented than Anglo-American films, I think [2].”

Si cette adaptation ne vit finalement pas le jour, l’évocation de ce projet est l’occasion d’aborder ici le statut du scénario ainsi que les relations qu’entretient l’écriture lodgienne avec le médium filmique.

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“Betty Fisher et autres Histoires”.

Entretien avec Claude Miller

C’est dans les bureaux des « Films de la Boissière » que cet entretien avec Claude Miller a eu lieu le 11 janvier 2002. L’occasion pour le cinéaste d’évoquer les relations parfois ambiguës qu’entretiennent écriture romanesque et écriture filmique, et plus spécifiquement son film Betty Fisher et autres histoires, adapté du roman de Ruth Rendell, The Tree of Hands.

Sophie Gaberel-Payen : Vous semblez beaucoup apprécier la littérature anglo-saxonne notamment pour son mélange des genres. Vous avez adapté, entre autres, des romans de Patricia Highsmith, John Wainwright, Ruth Rendell. Dans Betty Fisher et autres histoires vous faites même un clin d’œil à l’auteur (lorsque Alex se rend dans la bibliothèque pour chercher de l’argent après que sa maîtresse fut partie) et l’on voit apparaître un livre portant le nom de Ruth Rendell…

Claude Miller : Ah, oui. C’est une chose qui est arrivée (je crois que ce n’était même pas dans le scénario), en repérant le décor. Il y avait un endroit où il y avait une bibliothèque et je me suis dit que ce serait amusant : un coup de chapeau et un hommage à Rendell. C’est ce que je me suis amusé à faire.
Sinon, les romans anglo-saxons, je m’en rends compte depuis peu, ce n’était pas du tout conscient de ma part. Mais il y a une raison qui me paraît assez simple qui est que, par tradition (en tout cas au 20ème siècle, il me semble), la littérature anglo-saxonne est assez phénoménologique.

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