Après que l’écrivain David Lodge ait contribué en tant que scénariste à certaines adaptations filmiques de ses propres romans (Small World en 1988, Nice Work en 1989) ou encore à celle de Martin Chuzzlewit de Dickens (en 1994) pour la télévision britannique, c’est son roman Paradise News (1991), qui faillit faire l’objet d’une adaptation française au cinéma. En janvier 2005, en effet, le romancier se vit proposer ce projet par la scénariste Olga Vincent dont le précédent film était, par ailleurs, déjà une adaptation littéraire (Vipère au poing, d’après le roman d’Hervé Bazin).
David Lodge fut très vite séduit : “Of all the several approaches I have had from French film producers to option my books, Olga’s was easily the most professional, and she convinced me that she would do a sensitive, decent adaptation […] this novel […] is in many ways more like a story in a European film than in a Hollywood or even a British feature film, so I thought I would make the experiment[1].” Le genre même du roman se prêtait d’ailleurs mieux, selon lui, à une version européenne : “Both Paradise News and Therapy were too expensive for television because they involve a lot of exotic locations, they both involve travelling around the world […] but they don’t fit in any recognised cinematic genre […] That’s why I hope [Paradise News] might work as a French language film, because European films are less genre-oriented than Anglo-American films, I think [2].”
Si cette adaptation ne vit finalement pas le jour, l’évocation de ce projet est l’occasion d’aborder ici le statut du scénario ainsi que les relations qu’entretient l’écriture lodgienne avec le médium filmique.
Texte au statut trouble, double, le scénario en tant que tel représente un écrit inachevé au caractère volontairement inabouti, un premier geste de mise en scène : « une étape du voyage entrepris », selon André Téchiné[3] pour qui l’adaptation en soi est un voyage, et un genre « entre-deux » selon Pier Paolo Pasolini[4], demandant un véritable effort de collaboration et de création de sens de la part du lecteur-spectateur, dont la lecture (se plaçant elle-même à mi-chemin entre texte et image) peut servir une meilleure compréhension de l’œuvre filmique à laquelle le scénario va donner vie. Reprenant d’ailleurs les termes de Pasolini, Francis Vanoye le définit quant à lui comme « transitoire, transition, ‘structure tendant vers une autre structure’ ; non ‘pas conçu pour durer, mais pour s’effacer, pour devenir autre.’ Le scénario est lu dans la perspective imaginaire du film, il s’abîme dans et par le film. Il s’intègre dans une démarche, un processus en plusieurs étapes, une chaîne d’écriture et de récriture d’un récit tendant vers le film comme objectif ultime[5] ».
La dualité texte/image, écrit/écran, semble inhérente au scénario, sa justification même, car s’il est bien, comme l’indique encore Serge Le Péron, « cet écrit-instrument de communication minimum entre les différents partenaires du film (producteurs, réalisateurs, acteurs, techniciens) », il est aussi et à la fois « un récit déjà sur les rails d’une salle obscure […] C’est-à-dire un texte qui comporte un secret que le tournage lèvera ou entretiendra[6] ». Il est enfin, selon Christian Biegalski, « un texte qui n’est pas une œuvre, qui est plutôt un prétexte qu’un texte, un palimpseste sur lequel beaucoup de gens passent et repassent.[7] » Et c’est plus spécifiquement la définition que nous retiendrons, car elle nous semble illustrer au mieux cet « entre-deux » : texte et lieu de change, d’échange[8]…
C’est donc la notion de palimpseste, d’abord au sens littéral, qui s’appliquera ici : du grec palimpsêstos, signifiant « gratté pour écrire de nouveau, œuvre dont le dernier état recouvre des essais antérieurs… » Une définition s’appliquant aux récritures, aux changements, imposés par les nécessités techniques et artistiques inhérentes à l’adaptation. Au sens métaphorique aussi, puisque l’écriture scénaristique, si elle se démarque bien sûr (notamment par son style dépourvu d’effets littéraires et sa présentation découpée) de l’écriture romanesque, est à la fois récriture d’un texte et anticipation d’un film, une mémoire du futur, évoquant déjà l’image à venir.
L’adaptation se présente ainsi explicitement comme le palimpseste générique, médiatique, du roman, c’est-à-dire qu’elle ne prétend pas à une exacte fidélité mais qu’il est une œuvre dont elle partage le même support, qu’elle se réfère à… Et il s’agit alors, estime Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, de « considérer, en somme, moins la fidélité à un objet que l’instauration d’une écriture de la différence[9] ». Ecriture, récriture, qui commence bien sûr par celle(s) du scénario : ce « manuscrit effacé et récrit qui laisse paraître en filigrane, des traces variables du texte antérieur – permet d’abord de mettre au jour les relations entre un texte présent et un texte absent, entre actuel et virtuel[10] ».
Au cours de ce processus, les notions d’autorité et de contrôle artistique restent d’ailleurs complexes. David Lodge en a lui-même fait l’expérience : “Film narrative is a collaborative enterprise that gets further and further away from the writer the closer it gets to completion. Even if you adapt your novel yourself, you will have very limited control over how it is cast, directed, performed and edited – and much less, of course, if someone else adapts it[11].” Mais c’est dans Writing for the Medium, que Malcolm Bradbury (avec tout l’humour qui le caractérise) illustre parfaitement cette complexité lorsqu’il décrit les contraintes auxquelles doit obéir l’auteur d’un scénario :
“You get up in the morning, have breakfast, switch on your Apple, write down ‘1. INT. JOHN’S ROOM, HOTEL, MANCHESTER. DAY” and the phone rings. Someone says: ‘Hi, this is Joanne, the location finder, I’m in Johannesburg. I’m looking out of my hotel window and I can just see this fantastic shot. I can see your character, Maggie, isn’t it, coming round the corner and…’ […] And Joanne explains that she thinks they can fix this great deal with the South Africans so it would be better to set it in Johannesburg instead. So you sit down and write: ‘1. INT. MAGGIE’S ROOM, HOTEL, JOHANNESBURG. DAY’, and then the phone rings again (…)” (103)
En effet, entre roman et film, entre contraintes (matérielles, financières, etc.) et créativité, quelques « adaptations » s’imposent parfois…
La notion de palimpseste sert de plus à illustrer thématiquement l’évolution du protagoniste de Paradise News (Bernard Walsh, prêtre qui parti à Hawaï s’occuper de sa tante mourante, découvre l’amour) ainsi que le changement de ton que marque cette œuvre au sein de l’écriture lodgienne ; pour la première fois, en effet, la structure binaire voire les oppositions privilégiées par l’auteur se trouvent ici finalement réconciliées. Le personnage de Yolande (sa nationalité : américaine, son métier : psychologue) faisait d’ailleurs partie des interrogations de la scénariste comme elle nous le confia lors d’un entretien : était-ce essentiel, modifiable ? Quoi qu’il en soit, il est important de noter qu’une opposition telle que américanisme/anglicisme sert la structure binaire souvent privilégiée par Lodge ; ici, la personnalité extravertie de la jeune femme ainsi que son métier vont aider Bernard à s’affranchir à la fois de ses complexes (notamment sexuels) mais aussi d’une foi qui ne le satisfait plus. Le palimpseste prenant ainsi le sens qui lui est attribué dès 1860, celui de « mécanisme psychologique par lequel de nouveaux sentiments, de nouvelles idées, se substituent aux précédents et les font disparaître… »
Palimpseste à rebours, enfin, qui peut dévoiler au lecteur les traces du visible déjà présentes au sein du récit ; le scénario puis le film révélant ainsi ce que le roman contient à l’état latent, « comme le ferait sur le papier le révélateur, produit chimique employé dans la chambre noire d’un laboratoire, pour qu’apparaisse l’image impressionnée sur la pellicule photographique[12] ». Le scénario puis le film donnant alors à lire, et à voir, faisant de l’adaptation un acte de lecture-écriture agissant sur le récit. Le texte littéraire, pré-texte au sein de cette relation de filiation, se fait alors aussi le prétexte de cette mise en scène, où sont déjà présents divers jeux de miroirs et autres reflets écraniques. Au lecteur de (perce)voir alors ce que Liliane Louvel nomme « l’effet-image » : « de l’effet de ces images sur l’imaginaire pris entre voir et lire […] La lanterne magique du texte permet[tant] au lecteur de construire la sienne. Libre ensuite à lui de projeter ses images sur le monde dans l’aller-retour d’une projection très privée[13] ».
Rappelons d’ailleurs que le mot scénario vient de l’italien scena, signifiant la scène, et qu’il peut aussi bien figurer le canevas d’une pièce que celui d’un roman. Il peut également figurer la rédaction détaillée des diverses scènes dont un film sera composé ou la suite d’événements dont on envisage le développement possible au cours d’un roman. Quant au terme de caméra, celui-ci se rencontre souvent dans le champ des études littéraires lorsqu’il s’agit de qualifier une narration romanesque neutre, impersonnelle. Un film, au sens littéral, est une bande pelliculaire mais pris au sens figuré, c’est aussi le déroulement d’une histoire. Un synopsis est le bref exposé d’un sujet de film, constituant l’ébauche du scénario, mais ce terme est aussi employé pour le roman.
Au-delà de ces termes pouvant s’appliquer aussi bien au romanesque qu’au filmique, apparaissent ainsi d’autres appellations, elles-mêmes hybrides, illustrant, comme le note Lise Gauvin dans Les scénarios fictifs, l’émergence « de nouvelles formes d’écriture romanesque qui, d’une manière ou d’une autre, font référence à l’écriture du scénario : tels sont les ciné-romans qui constituent une sorte d’adaptation romanesque du scénario ou encore les romans-scénarios ou les scénarios présents à la manière de récits enchâssés dans les romans ». (10)
Ces formes soulignent non seulement les zones d’interférence entre l’écrit et le filmique, mais également les modes de passage de l’un à l’autre où le lecteur-spectateur a lui aussi un rôle à jouer : en effet, l’auteur souligne encore comment « cette interdépendance du texte et de l’image a engendré de nouvelles formes de récits, incitant les créateurs […] à jouer sur différents systèmes de langage et à intégrer les lecteurs/spectateurs dans la structure même de leurs ‘scénarios fictifs.’ » (11)
L’intérêt de David Lodge pour le médium filmique s’est, de fait, exprimé bien avant les premières adaptations de ses romans et nombre de ses écrits contiennent en effet les prémisses d’une écriture filmique à venir – il n’est qu’à noter le titre de son tout premier roman The Picturegoers en 1960. La fin de How Far Can You Go? contient la retranscription du script d’une émission télévisée sur les nouveaux catholiques ; dans Changing Places, c’est la forme même du scénario qui est utilisée in media res : l’écriture filmique devenant écriture romanesque. Ces jeux d’écriture deviennent ensuite omniprésents dans son roman Therapy où le personnage principal est scénariste d’une sitcom à succès.
Mais c’est dans Paradise News[14] que, pour la première fois, certains moments du récit vont être racontés comme s’ils avaient été entièrement filmés. Cette caractéristique transforme le roman en un véritable jeu de miroir où s’enchâssent différents niveaux de représentation, à la fois romanesque et filmique. Dans de nombreux passages, le lecteur se voit ainsi subtilement transformé en spectateur. Un cadrage particulier, une référence cinématographique, suffisent à modifier le regard porté sur l’histoire qui nous est racontée. Les allusions à d’autres textes scripturaux sont du ressort de l’intertextualité, technique largement utilisée par l’écrivain. Mais quand les allusions portent sur des textes filmiques, une autre forme de référentialité entre alors « en scène » : l’intermédialité – notion qui, selon André Gaudreault, « désigne le croisement des médias dans la production culturelle contemporaine [15] ».
De fait, le point de vue filmique proposé au lecteur afin de suivre les aventures de Bernard Walsh et de son père à Hawaii débute dès leur montée dans l’avion (le lecteur se voit décrire les films projetés sur l’écran) et va ensuite sous-tendre le récit. Le dédoublement de l’espace représenté intervient alors de façon récurrente. Notamment lorsque les personnages deviennent soudain les héros d’un film… fut-il amateur, celui de Brian Everthorpe.
Au cours du récit, le point de vue spectatoriel proposé au lecteur est presque exclusivement celui de Bernard, sous forme d’aperçus visuels car c’est souvent par l’intermédiaire de l’objectif d’une caméra (en l’occurrence celle d’Everthorpe) que l’histoire est présentée. La caméra sert d’ailleurs à forcer le trait satirique. L’exaspérant Brian est d’abord décrit en train de filmer ses vacances, juste après que le père de Bernard se soit fait renverser par la voiture de Yolande : “When the ambulance passes Brian and Cheryl Everthorpe’s hotel they are in the middle of shooting ‘Waking up in Waikiki – Day One.’” (146) Et en effet, c’est à une véritable mise en scène que se livre Brian :
“On his cue Beryl is to sit up, open her eyes, yawn and stretch, get out of the bed, shrug on her negligée, and walk slowly out on to their balcony, where she is to gaze ecstatically at the view […] ‘Action!’ he shouts. Beryl wakes up, gets out of bed, walks towards the open sliding glass door, yawning convincingly, but just as she reaches the balcony the strident bleating of the ambulance’s siren rises from the street below. ‘Cut! Cut! cries Brian Everthorpe.” (111)
A partir de ce moment, de cette scène de « tournage », récit romanesque et récit filmique vont s’entrecroiser pour donner des versions différentes des événements. Car Brian filme sans cesse et à travers sa caméra le lecteur voit se dérouler de nombreuses scènes que le narrateur a déjà décrites, qu’il a déjà lues/vues quelques lignes auparavant. Cependant, ces scènes sont simultanées dans la diégèse, seul le point de vue diffère et souligne en fait parfaitement – et littéralement – le mélange entre le showing et le telling propre au récit.
Plus loin dans le roman, les vacanciers regardent le film amateur de Brian lors de la fête organisée pour leur départ ; des pages 335 à 346, le lecteur revoit alors, par l’intermédiaire de ces flash-backs filmiques et en même temps que les personnages du roman, les événements de leur séjour. C’est à un véritable visionnage, décrit par Bernard, qu’assiste le lecteur – visionnage qui prendra fin lorsque Brian retirera la cassette du magnétoscope. Même l’épisode où Brian filmait sa femme à l’hôtel s’intitule désormais la « Séquence Everthorpienne » (337) :
“On the screen, Beryl donned a negligée and sauntered towards the balcony, yawning affectedly. The murmur of traffic coming from the open French windows was suddenly augmented by the penetrating wail of an ambulance siren. The voice of Brian Everthorpe was heard crying: “Cut!” Beryl stopped sauntering ant turned to frown at the camera. Then she appeared to get back into bed and to wake up all over again.” (337)
Lorsque Brian fait défiler en accéléré certaines séquences du film, le récit de Bernard lui-même suit un rythme soudain plus rapide, procédant à une énumération de lieux et d’activités qui rend le défilement des images sur l’écran. (338) La parodie filmique est cependant à son comble lorsque l’on peut voir Brian et sa femme allongés sur la plage, enlacés dans les vagues. L’allusion est d’ailleurs tout de suite soulignée : “‘Burt Lancaster and Deborah Kerr’, said an Australian voice from the back of the room. ‘From Here to Eternity.’ ‘Bingo!’ said Brian. ‘And this is the very beach where they shot that scene.” (339)
David Lodge joue ici, pour la première fois aussi longuement, des relations entre écriture romanesque et écriture filmique. L’effet de réel et les différents modes de représentation utilisés dans le récit sont au cœur du roman. L’effet de « dysnarration », cette « opération de contestation du récit par lui-même » a à la fois pour but de « rompre avec les diverses illusions du lecteur-spectateur : illusion réaliste et référentielle du récit comme reflet du monde réel […] », et se fait aussi le reflet d’un montage filmique, puisqu’elle « substitue à un produit fini les éléments d’un produit en train de se faire[16] ».
C’est néanmoins par un véritable effet d’optique que l’écrit re-présente le visuel car l’interaction entre les deux media se loge bien au sein d’un seul support, l’écrit ; et la remarque que Lodge fait à propos de l’écriture de T. Hardy s’applique à tout roman jouant de l’intermédialité, y compris les siens : “This emphasis on the visual presentation of experience makes him no less a writer – quite the contrary, since he must do through language what the film-maker can do by moving his camera lens[17].”
Enfin, ce que le roman présente au lecteur, c’est un synopsis au double sens du terme, c’est-à-dire à la fois presque un synopsis au sens filmique, un récit constituant un schéma de scénario mais également une vision synoptique, du grec synoptikos, embrassant tout d’un seul coup d’œil, lui permettant de saisir d’un même regard, comme à travers le prisme d’une caméra, la conclusion du récit et de ses personnages. Et c’est bien cette idée que souhaite rendre la scénariste lorsqu’elle évoque une fin possible pour l’adaptation de Paradise News : “Offering the audience a second look, within the film itself, of the great moments of this stay in ‘paradise’, we think of an ending that will be tender, generous and already nostalgic […] We would then see the entire movie’s characters again, smiling and waving towards the camera as usually in home movies[18]…”
Insérer le film dans le roman, intégrer ce médium au cœur de la fiction, est une façon de présenter un tissu référentiel intermédiatique. Eric Bordas souligne comment les métaphores (ici filmiques) influencent la lecture et comment « le discours descriptif s’ouvre […] sur une profondeur qui est tout autant d’ordre spatial que temporel[19] ». Il cite également Philippe Hamon selon qui l’expression métaphorique « construit un effet de simultanéisme, de continuité dans l’espace, qui se rapproche effectivement de celui que donne l’image à voir [20] ». David Lodge revendique d’ailleurs cet aspect : “I am aware that references to other media do run through my work particularly references to the cinema and to films, going right back to my very first novel […] In Paradise News, there is a film that Bernard watches in the aeroplane going to Hawaii which he feels trivializes death, whereas he is actually going to confront a real dying person. So, yes, I have used films quite consciously as metaphors for states of mind[21].”
S’il y a bien différentes façons de raconter une histoire, c’est cette hétérogénéité, ces croisements intermédiatiques qui sont intéressants. Le statut du scénario lui-même a d’ailleurs évolué au fil du temps ; s’il a d’abord cherché à revendiquer son autonomie et la créativité de la mise en scène (« l’auteur écrit avec sa caméra comme un écrivain avec un stylo » clamait Alexandre Astruc[22] en 1948) il s’est fait plus tard le reflet de l’intermédialité que nous abordons ici : « Changement d’époque, contamination de plusieurs textes, écriture de textes intermédiaire entre l’œuvre d’origine et le film, élaboration de figures nouvelles, tels sont quelques-uns des gestes qui garantissent la transmission de la littérature — non plus comprise comme une collection de monuments, mais comme un ensemble de structures vivantes[23]. »
Ainsi, le scénario peut-il se concevoir en tant que lien, lieu de convergence. Pour Dominique Parent-Altier c’est même l’« une des fonctions du scénariste […] de construire le pont qui reliera les médias actuels et futurs issus de l’image à ceux du passé qui s’élevaient sur les fonctions techniques et traditionnelles du conte et de l’image […] C’est la raison pour laquelle le scénariste, qui au cours de son travail met en œuvre un imaginaire fondé sur la tradition littéraire et dramaturgique est indispensable […][24] »
André Gaudreault et François Jost notent quant à eux que ces différents média sont à une croisée des chemins[25]. Puisque la croisée des media, rappellent-ils, c’est d’abord la croisée du même et de l’autre, de l’ancien et du nouveau, un entre-deux. Avec pour point d’encrage le lecteur-spectateur. Et pour fonction la possibilité de s’adresser à notre mémoire et de la reconstruire.
L’interaction entre texte romanesque, scénaristique et enfin filmique, semble poser d’emblée la mise en relation, et en espace, de récits qui se donnent à voir et leur lecteur, leur spectateur. Le rôle de ce dernier apparaît comme essentiel : en effet, si « associée à la théorie de la réception, l’intertextualité [ou l’intermédialité – ndlr] offre des indications précieuses puisqu’elle permet d’analyser la façon dont les textes portent de véritables scénographies de la lecture[26] », le scénariste Jean Aurel rappelle également qu’« écrire un scénario, c’est à l’avance faire travailler le spectateur et jouer avec lui[27] ».
C’est donc le mouvement des textes, tout autant que leur mémoire, qui se trouve souligné par l’écriture scénaristique, prenant en compte non pas l’infériorité ou la supériorité d’un médium par rapport à l’autre, mais bien leur complémentarité. Intermédiaire, intermédiatique, étape essentielle lors d’une adaptation littéraire, le scénario reste la preuve, que les films n’existeraient pas « sans le jaillissement de l’écrit. Leur existence montre qu’il est possible de créer sur papier, la poésie des œuvres filmiques à venir et que là réside l’alchimie[28] ».
BIBIOGRAPHIE :
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—, « Littérature et cinéma : le change des scénarios », Thélème: Revista complutense de estudios franceses, nº 8, 1995, 179-189.
[1]. Correspondance avec l’auteur, 28/04/2006.
[2]. « Lost in Adaptation », David Lodge in conversation with Adrian Goldberg, 4 December 2005, Mac Cinema, Birmingham, DVD, session 9.
[3]. Téchiné, André, « Ecrire et filmer », conférence en présence du cinéaste et de Julia Kristeva, Jean-Michel Frodon, Marc Buffat, dans le cadre du cycle de conférences du Centre Roland-Barthes. Université Paris VII, 08 février 2005.
[4]. “Situated as it is between literature and film, the screenplay-text occupies a ‘void’, an interval which compels the reader to inhabit that same uncomfortable place between two languages.” Pasolini, Pier Paolo, L’Expérience hérétique (1972), Paris, Payot, 1976, p. 70.
[5].Vanoye, Françis, Scénarios modèles, Modèles de Scénarios, Paris, Nathan, Arts Université, 1991, p. 12.
[6]. Le Péron, Serge, « La position du cinéaste assis au moment du scénario », Les cahiers du cinéma (Le scénario des cinéastes), n° 371.
[7]. Biegalski, Christian, « Peut-on enseigner le scénario? », La Gazette des scénaristes, n° 24.
[8]. Ce que ne manque pas de rappeler Francis Vanoye : « Dans le domaine des arts, [le scénario] est, si l’on se réfère aux catégories proposées par Genette […], transposition, régime sérieux de transformation, la plus importante de toutes les pratiques hypertextuelles par son amplitude et par la variété des procédés qui y sont mobilisés. » In « Littérature et cinéma : le change des scénarios », Thélème: Revista complutense de estudios franceses, nº 8, 1995, p. 179-189.
[9]. Ropars-Wuilleumier, Marie-Claire, Introduction de la revue Cinémas, « Ecrit/Ecran », vol. 4, n° 1, Montréal, printemps 1993, p. 7.
[10]. Samoyault, Thiphaine, L’intertextualité (2001), Paris, Nathan Université, 2004, p. 21.
[11]. Lodge, David, “The Celluloid Collar”, The Listener, 7 avril 1988, p. 14.
[12]. Thierry, Natacha, « Vampirisme et cinéma », Dracula : l’œuvre de B. Stoker et le film de F.F.Coppola, Claire Bazin et Serge Chauvin (dir.), Nantes, Editions du temps, 2005, p. 144.
[13]. Louvel, Liliane, Textes/Images : Images à lire, textes à voir, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002, p. 160.
[14]. Lodge, David, Paradise News (1991), London, Penguin books, 1992. Les références sont tirées de cette édition.
[15]. http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/about.asp/ Site du CRI (Centre de Recherches sur l’Intermédialité).
[16]. Vanoye, Francis, « Récit écrit – Récit filmique », Paris, Editions Cedic, Coll. « Textes et non-textes », 1979, p. 207-210.
[17]. Lodge, David, “Thomas Hardy as a Cinematic Novelist”, Working with Structuralism (1981) London, Ark and Paperbacks, 1986, p. 97.
[18]. Extrait de la note d’intention envoyée par la scénariste Olga Vincent à David Lodge pour l’adaptation de Paradise News. Correspondance personnelle.
[19]. Bordas, Eric, Les Chemins de la métaphore, Paris, PUF, 2003, p. 107.
[20]. Hamon, Philippe, Imageries. Littérature et images au XIXe siècle, Paris, José Corti, 2001, p. 278.
[21]. “From Then to Now and Next.” Entretien avec David Lodge (Janvier 2005). F. Gallix, V. Guignery, S. Gaberel-Payen, Sources 18. Orléans, Editions Paradigme, Printemps 2005, p. 18.
[22] Astruc, Alexandre, « Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo », L’Écran Français, 30 mars 1948, repris dans Du stylo à la caméra… Et de la caméra au stylo, Écrits (1942-1984), Paris, L’Archipel, 1992, p. 327.
[23]. Cléder, Jean , « L’Adaptation cinématographique », http://www.fabula.org/atelier.php?adaptation
[24]. Parent-Altier, Dominique, Approche du scénario, Paris, Armand Colin Cinéma, 2005, p. 117-118.
[25]. Gaudreault, André, Jost, François, « Présentation à La croisée des médias », (http://cri.umontreal.ca/cri/fr/publications_present_Godro-Jost.asp)
[26]. Samoyault, Thiphaine, L’intertextualité (2001), Paris, Nathan Université, 2004, p. 112.
[27]. Aurel, Jean, « Le scénario au pluriel », Les cahiers du cinéma (Le cinéma des scénaristes) n° 371.
[28]. Parent-Altier, Dominique, op. cit., 2005, p. 11.
Communication donnée lors du colloque intitulé « De la page blanche aux salles obscures : l’adaptation cinématographique dans le domaine anglophone/ From the Blank Page to the Silver Screen: Film Adaptations in the English-Speaking World. » Université de Bretagne Sud, Lorient, 8-10 juin, 2006.